Je vais vous expliquer cette histoire sans queue ni tête, aberrante, anachronique. Laissez-moi vous parler de Basile et de Joshua, et de ce que j’ai vécu depuis le mois de mai dernier.
Je m’appelle Théo Béranger et j’ai quarante ans. Je suis enfermé dans la cave de deux vieux fous, dans le trou du cul du monde. Ces malades veulent faire de moi leur esclave. Privé d’eau et de nourriture, des jours et des semaines ont passé, épuisants de travail et d’insultes.
Quelques jours auparavant, je sortais de prison. Je viens de passer dix-neuf mois au trou pour avoir massacré mon frère qui a couché avec ma femme. Ce type arrogant, ce chirurgien talentueux promis à un bel avenir, est maintenant cloué dans un fauteuil. Je ne regrette pas ce qu’il est arrivé, je n’ai aucun remord.
La prison n’est pas la vie ordinaire. J’ai passé dix-neuf mois au seuil de la violence, au bord du gouffre. Certains ressortent écrasés par la prison, d’autres endurcis. Je suis de ceux-ci. Aujourd’hui, je me trouve dans une situation tellement démente, que je n’y crois pas. J’ai résisté à la prison, je me jure d’échapper à mes geôliers.
L’histoire de Théo, ce sont des hommes qui l’ont commise, comme on commet un meurtre, oui comme cela. C’est aussi la vérité que j’ai voulu rétablir. Je m’y suis sentie obligée. À l’échelle de l’humanité c’est peu de chose. Je le sais. Mais je me fous de l’échelle de l’humanité.
Ce type violent, "elle" n’a vraiment pas envie de le sauver. C’était sans compter que c’est "elle", qui a recueilli le corps entre ses mains, après. Encore "elle", qui lors de sa convalescence à l’hôpital a hérité de son journal intime. Alors, afin d’apporter un témoignage et parce qu’elle en ressent le devoir, "elle" retranscrit la lente descente aux enfers de Théo. C’est à travers "ce docteur" dont on ignore tout, que l’auteure nous ouvre les portes de ce qui a été « L’affaire Théo Béranger ». Un huis clos absolument abasourdissant, dont on ressort totalement vidé.
Tout commence alors que Théo décide de se retirer dans une région déserte. Un coin isolé où les arbres, les vallons et les chemins de randonnée composent l’intégralité du paysage. Logé chez la prévenante et aimable Madame Mignon, il découvre avec allégresse la région grâce aux randonnées qui lui permettent d’expier ses idées noires. Au cours d’une de ses balades, il découvre un passage improbable donnant sur une maison a priori abandonnée. Il est accueilli par un vieil homme armé d’un fusil, qui une fois rassuré sur les intentions de Théo l’invite à prendre un café. Trou noir. À son réveil, il est enchaîné. Jour après jour, il va faire les frais de la folie et des sévices de deux vieux cinglés, Basile et Joshua.
Sandrine Collette a rédigé son livre à la première personne du singulier. J’ai un faible pour cette technique littéraire qui crée un contact considérable avec le lecteur, je dirai presque même une intimité. Théo va ainsi nous livrer ses émotions et ses sentiments quant à sa séquestration, et pour le coup, c’est d’une effroyable intensité. Il pensait avoir vécu le pire, mais il se rend compte que ses dix-neuf mois de prison ont été de la rigolade. Une histoire démesurée qui le plonge en premier lieu dans l’incrédulité. Puis c’est la panique qui le submerge, pour finalement laisser place à une totale résignation. C’est humilié et impuissant qu’il se prend de plein fouet le mépris de ces deux frères qui l’appellent « le chien », le sifflent et lui balancent des restes de nourriture qu’ils ont déjà léchés sans vergogne. Face à ces deux tyrans, toute trace d’humanité a disparu. Sa seule hantise, c’est de survivre.
Je ne suis plus qu’un reste d’humanité. Une entité qui ne pense qu’à manger, boire et dormir, à éviter les coups, et à se relever le lendemain. Les vieux avaient raison. Je ne vaux pas beaucoup plus qu’un chien. Je ne suis même pas affectueux. Je suis de la race de ces bêtes galeuses qu’on attache au bout d’une chaîne et que personne ne veut plus caresser. Ce que je suis devenu, c’est aux vieux que je le dois. Toute ma souffrance et toute ma déchéance, ce sont eux qui les ont faites. J’espère de toutes mes forces qu’il existe quelque chose au-delà qui pourra me venger. Au nom de la haine qui me sera restée jusqu’au bout, même sans force, et sans volonté. Un peu de justice.
DES NŒUDS D’ACIER est le premier livre de Sandrine Collette. Et quel ouvrage ! Waouh … C’est littéralement fascinée et à une cadence infernale que je l’ai englouti. Difficile de le poser, l’envie irrépressible d’avancer encore et toujours pour être libérée, enfin presque …
L’auteure a l’art et la manière de nous planter le décor ainsi que les personnages, je dirais d’elle que c’est une « créatrice d’ambiance ». C’est avec finesse et sans garniture inutile, que Sandrine Collette nous livre un récit d’une crédibilité terrifiante, dans une atmosphère des plus sombres.
Un résultat puissant pour une lecture émotionnellement forte qui fait DES NŒUDS D’ACIER mon premier coup de cœur de l’année.
Sandrine Collette est née en 1970. Elle partage sa vie entre l’université de Nanterre et son élevage de chevaux dans le Morvan. DES NŒUDS D’ACIER est son premier roman.